Stendhal

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Mais ce n'est là encore qu'une approche de la question. Pendant longtemps, son journal en fait foi, Stendhal a été hanté par le Tartuffe de Molière. Dans Le Rouge et le Noir, il s'attaque lui-même au coeur du problème et nous fait comprendre admirablement qu'il ne s'agit pas en l'occurrence de psychologie individuelle, ni encore moins de métaphysique, mais en dernière analyse de politique.

Car le véritable accusé dans Le Rouge et le Noir, ce n'est pas Julien, mais la société. Et non pas la société en général donnée une fois pour toutes, mais celle que connaît Stendhal et dont il démonte les rouages avec une précision d'horloger.

La révolte de Stendhal est historiquement datée. Que nous montre en effet Le Rouge et le Noir ? Que, dans une société soumise à la tyrannie d'une classe dominante (et l'auteur décrit très concrètement comment s'exerce, sous la Restauration, cette domination des nobles et de la Congrégation), celui que le sort a fait naître dans une "classe dite inférieure" n'a le choix qu'entre l'hypocrisie et la révolte. Et Le Rouge et le Noir, côté Julien, est révolte et non pas hypocrisie;

La morale, c'est tout ce qui est utile à la caste privilégiée. L'hypocrisie n'est pas dans ce cas le fait de l'individu. Elle est partout, elle est la condition même du bon fonctionnement du système social. C'est la société qui l'impose à l'individu, et celui-ci n'a pas le choix, il est contraint d'accepter la règle du jeu, de feindre d'être dupe s'il ne veut pas être rejeté et condamné. Car "mentir n'est-il pas la seule ressource des esclaves" ?

L'"égotisme" dont Stendhal a fait sa philosophie personnelle n'est au fond que l'aspiration de l'individu à se libérer de cette gangue sociale, qui l'empêche de s'épanouir.

A plusieurs reprises, dans son Journal, il feint de s'excuser d'avoir recours au mot et à la chose comme s'il était inconvenant de parler de soi. Ne soyons pas dupe de cet accès de modestie littéraire à laquelle il nous convie sans beaucoup y croire.

Ce qui est vrai c'est que l'égotisme n'est ni exemplaire ni valable en tout temps et en tout lieu. Sa valeur est singulière, circonstancielle et se mesure à la qualité de celui qui le pratique. M. de Chateaubriand peut apparaître, c'est Stendhal lui-même qui le dit, comme "le roi des égotistes", il opère cependant sur un autre registre que l'auteur du Rouge et Noir, qui remarque : "Je suis comme une femme honnête qui se ferait fille : j'ai besoin de vaincre à chaque instant cette pudeur d'honnête homme qui a horreur de parler de soi."

L'égotisme c'est la résistance à une société injuste, avec les moyens du bord. C'est la revendication d'être soi-même face à des contraintes extérieures jugées inacceptables. D'où l'exaltation permanente du naturel qui s'oppose à la vanité, comme l'être s'oppose au paraître. Le naturel c'est la sincérité, la passion, le mépris des faux-semblants et des convenances, le refus d'accepter la règle d'un jeu social fondé sur le mensonge. Ce n'est donc pas de l'égoïsme et ce n'est pas seulement la volonté de se faire, suivant le mot de Valéry, "l'insulaire de l'Ile Moi" car Stendhal et ses héros professent une morale qui est, comme toute morale, une règle de la vie en société : celle de l'utilité.

Реферат опубликован: 11/04/2007