Stendhal

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C'est dans cette insatisfaction du corps et de l'esprit qu'il faut rechercher la raison des volte-face de Matilde, au cours des jours suivants, de son désarroi et de ses fureurs, de cette imagination renversée qui opère comme une "cristallisation" à rebours et qui ne voit qu'objet de mépris là où elle découvrait la veille de suprêmes mérites. A quoi s'ajoute son orgueil de classe un moment oublié : elle a honte de s'être livrée au "premier venu à un petit abbé, fils d'un paysan". D'où la tendre et cruelle guerre que se mènent les deux amants, le terrible désespoir de Julien ("Un des moments les plus pénibles de sa vie était celui où chaque matin, en s'éveillant, il apprenait son malheur") - il pense même à se donner la mort - les réconciliations suivies de nouvelles tempêtes, comme cette nuit où il prend l'échelle pour monter jusqu'à sa fenêtre et se jeter dans sa chambre : "C'est donc toi, dit-elle en se précipitant dans ses bras ." Toujours fidèle à son parti pris de discrétion dans ces circonstances, Stendhal fait suivre cette phrase d'une ligne de points de suspension et se borne à remarquer : "Qui pourra décrire l'excès du bonheur de Julien ? Celui de Mathilde fut presque égal." Presque. Encore une de ces notations brèves qui contribuent à expliquer le comportement du personnage. Car Mathilde se dérobe à nouveau, jusqu'au jour où la jalousie lui fait prendre conscience de la réalité de sa passion et la ramène à son amant devant qui elle tombe évanouie : "La voilà donc, cette orgueilleuse, à mes pieds se dit Julien."

Dans La Chartreuse de Parme il n'y a pas de règlement de compte de cette nature entre Fabrice et Clélia - car l'un et l'autre appartiennent à la même classe -, mais on retrouve dans la peinture de leurs amours la même extrême pudeur. Quand Clélia, folle d'inquiétude, voit dans sa prison Fabrice, qu'on se prépare - elle le sait - à empoisonner, et qu'elle se donne à lui pour la première fois, Stendhal se borne à décrire la scène en ces termes : "Elle était si belle, à demi vêtue, et dans cet état d'extrême passion, que Fabrice ne put résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne lui fut opposée." Discret et complice, le romancier s'efface devant ces moments de bonheur fou.

Comme il s'efface vers la fin du roman lorsque Fabrice, après avoir été si longtemps et si cruellement séparé de celle qu'il aime - elle a été contrainte d'épouser le marquis Crescenzi -, reçoit un jour un billet de Clélia lui donnant rendez-vous à minuit devant une porte dérobée du palais. Clélia perdue et enfant retrouvé. Clélia dont il a tant rêvé et dont la voix chère sortie de l'ombre lui murmure soudain ces simples mots : "Entre ici, ami de mon coeur."

Et Stendhal : "Nous demanderons la permission de passer sans dire un mot sur un espace de trois années."

Pourtant, malgré cette dérobade, la charge sensuelle demeure forte chez Stendhal, même si elle n'est évoquée que par les pieds nus de la comtesse Curial, la main de Mme de Rénal, les épaules de Mme de Chasteller ou l'appel de Clélia dans la nuit. Au moment où Fabrice, de la fenêtre de sa prison, apparaît à Clélia qui se trouve dans la cour de son palais, il remarque qu'"elle rougissait tellement que la teinte rose s'étendait rapidement jusque sur le haut des épaules" et cela suffit à le remplir d'espoir.

Реферат опубликован: 11/04/2007