Stendhal

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Né trop tôt ou trop tard, Lucien Leuwen ne sait où porter ses pas : "En vérité . Je ne sais ce que je désire." Ce qui est sûr, c'est qu'il refuse le nouveau pouvoir où il ne voit que médiocrité, bassesse, compromission et "presque le crime de l'humanité envers le petite peuple". Certes, il est tenté par le rêve républicain qui l'a déjà conduit, jeune étudiant, aux obsèques du général Lamarque. Dans son régiment qui "foisonne de dénonciateurs et d'espions", son admiration va aux conjurés romantiques qui ont deviné en lui la complicité d'une âme noble et lui envoient un message de sympathie pour lui faire part de leurs opinions républicaines.

Lucien Leuwen ne peut pas savoir que le rêve de ses chers républicains un peu fous s'achèvera quelques dizaines d'années plus tard sous les balles des Versaillais au pied du mur d'un cimetière parisien. Un mur qui porte aujourd'hui leur nom.

Mais, au-delà de son dégoût pour le système en vigueur, il s'interroge sur celui qui pourrait suivre. En France il n'entrevoit rien de possible dans l'immédiat.

Il songe un moment à partir en Amérique qu'il imagine républicaine, mais estime qu'il s'ennuierait là-bas.

"Je préfèrerais cent fois les moeurs élégantes d'un cour corrompue . J'ai besoin des plaisirs donnés par une ancienne civilisation."

Conscient de s'enfermer dans une impasse, il se juge sans indulgence : "Mais alors, animal, supporte les gouvernements corrompus, produits de cette ancienne civilisation; il n'y a qu'un sot ou un enfant qui consente à conserver des désirs contradictoires."

Ce sont pourtant ces désirs contradictoires qui portent la marque du héros stendhalien. Il ne peut pas résoudre seul cette contradiction, et c'est à l'Histoire qu'il reviendra de trancher un jour le noeud gordien. Lucien rejette avec violence la société de son temps, mais il n'a ni les moyens, ni le goût, ni vraiment l'envie de la remplacer par une autre dont les contours ne lui paraissent pas avec netteté ou lui semblent au contraire trop abrupts.

Alors, que peut faire le héros, sinon tenter de préserver son intégrité, puisque le terrain est miné par l'homme de qualité. Se réfugier une fois de plus dans l'égotisme : "Au fond, je me moque de tout excepté de ma propre estime", se dit Lucien. Ce qui signifie tout bien pesé qu'il ne se moque de rien. Mais cette démarche le conduit d'abord à refuser d'entrer dans le jeu, il n'accepte d'être ni conquérant ni Rastignac, ni récupéré comme Frédéric Moreau, le héros flaubertien de l'Education sentimentale. Il demeure fidèle à son attitude de protestataire : "Moi pléléien et libéral je ne puis être quelque chose au milieu de toutes ces vanités que par la résistance."

Lucien Leuwen, c'est l'histoire d'un homme qui rêve d'une république utopique et qui, ne voyant rien venir, s'efforce de vivre sans perdre son propre respect dans une société dont il rejette la règle, bien qu'apparemment elle le favorise. C'est l'histoire d'une solitude à laquelle il ne peut échapper lui aussi que par l'amour.

Pourquoi à la lecture de Stendhal suis-je frappé par l'acuité de certaines réflexions qui, au-delà de la diversité des situations, des pays et des hommes, malgré les années écoulées, me paraissent jeter encore une lueur fulgurante sur le comportement des individus ou des peuples face à la politique, au pouvoir et à ses périls ? Même et surtout quand il s'agit de ceux qu'il estime ou qu'il aime.

Реферат опубликован: 11/04/2007